Entretien avec Solidaires étudiant-e-s syndicats de luttes

Fransa’da faaliyet yürüten dostlarımız Solidaires Etudiant-e-s ile mücadele pratiklerine dair bir röportaj gerçekleştirdik. Solidaires Etudiant-e-s; faşizme karşı mücadele, neoliberal ekonomik politikalara karşı mücadele, feminist mücadele, ekoloji hareketi, LGBTİ+ hareketi ve bunlarla birlikte güncel durumumuzu etkileyen durumlara, içerisinde mücadele verdiğimiz alanlara ve başka birçok gündeme dair sorularımızı yanıtladılar.

Bu röportajı Türkçe çevirisini iki bölüm halinde sitemizde yayınladık. Bunlara: https://ozgurlukcugenclik.org/solidaires-etudiant-e-s-ile-roportaj-1-bolum/ ve https://ozgurlukcugenclik.org/solidaires-etudiant-e-s-ile-roportaj-2-bolum/ linklerinden ulaşabilirsiniz. Burada ise dostlarımızın cevaplarını doğrudan Fransızca orijinali ile yayınlıyoruz.

Solidaires Etudiant-e-s’ten yoldaşlarımıza sorulara yanıt verip bakış açılarını bizlerle paylaştıkları için teşekkür ediyoruz ve devrimci selamlarımızı iletiyoruz.

Pour Özgürlükçu Gençlik

Du Madagascar au Maroc, du Maroc au Népal, du Népal en Serbie, de la Serbie en France, de la France en Turquie… Partout dans le monde se brûle par la feu de révolte de la jeunesse. La jeunesse lutte ; contre autoritarisme, la violence de la police et de l’Etat, la répression, la bureaucratie, la corruption, le fascisme ; pour sa liberté, ses droits, son futur. Même si la particularité des contextes locaux est importante, les crises se sont créées par les contradictions produites par le capitalisme autour du monde. Aujourd’hui, les crises provoquées par l’expansion de l’impérialisme et du capital jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place pour l’expansion, la vague fasciste émergeante, les dangers que nous confrontons et qui se sont créés par ces phénomènes ; ne sont pas limités à une seule frontière nationale. Dans ce cadre, c’est une réalité qu’un modèle de lutte qui est limité aux frontières nationales, ne créera pas de transformation révolutionnaire qui secoue le système depuis ses racines. De même que la classe capitaliste n’existe pas aujourd’hui sous ses propres frontières nationales pendant qu’elle exploite tous les coins du monde, le modèle de lutte à développer contre cela ne doit pas être limité aux frontières nationales.  Dans ce contexte, il est nécessaire de former les alliances internationales, les liens internationaux, les solidarités internationales pour notre lutte révolutionnaire internationaliste.

Nous avons mené un entretien avec Solidaires Etudiant-e-s qui est une fédération syndicale des étudiant-e-s active en France et qui fait partie de nos alliances et de nos liens internationalistes. Solidaires Etudiant-e-s  a répondu nos questions qui sont sur ; la lutte contre le fascisme, la lutte contre les politiques économiques du néolibéralisme, la lutte féministe, le mouvement d’écologie, le mouvement LGBTI+ et à part celles-ci, sur les problèmes qui nous influencent notre condition actuelle, les champs où nous luttons et aussi les questions sur bien d’autres agendas.

Nous remercions à la commission internationale de Solidaires Etudiant-e-s et nos camarades de Solidaires Etudiant-e-s pour avoir répondu à ces questions et pour nous avoir partagé leur perspective précieuse. Nous saluons Solidaires Etudiant-e-s avec nos salutations révolutionnaires.

1) Pouvez-vous raconter votre organisation? C’est quoi un syndicat étudiant? Qui est Solidaires étudiant-e-s?

Un syndicat étudiant est une association basée dans les Universités et autres écoles d’études supérieures, qui a pour mission de défendre les droits des étudiant-e-s, les faire appliquer et en conquérir de nouveaux par divers moyens de pression et de négociation. Solidaires Étudiant-e-s est né en 2013 de la fusion de deux organisations (Sud Étudiant et Fédération Syndicale Étudiante) qui partagent les principes suivants : l’indépendance vis-à-vis des partis politiques, la défense et la conquête de droits pour les étudiant-e-s par la lutte au sein du mouvement social plutôt que par un recours exclusif à la négociation, ou encore le tissage de liens interprofessionnels – nous sommes la seule fédération de syndicats étudiants en France à faire partie d’une union avec des syndicats professionnels – pour aller vers un idéal de société commun, où les lieux de production et d’études sont autogérés par leurs usager-e-s et par les travailleur-euses, loin des intérêts privés des grands groupes capitalistes. Nous voulons une Université libre, gratuite, émancipatrice, plutôt que sélective, élitiste socialement et économiquement, et assujettie aux besoins du marché. Notre militantisme s’inscrit dans le syndicalisme révolutionnaire, qui répond en France aux deux besognes de la Charte d’Amiens, un document fondateur daté de 1906 : améliorer immédiatement nos conditions matérielles d’existence d’une part, et conquérir les moyens de production d’autre part ; nous nous inscrivons ainsi dans la lutte des classes. Nous promouvons également l’autogestion, c’est-à-dire l’absence de hiérarchie dans notre organisation, et revendiquons de même l’autogestion de l’Université par sa communauté éducative. Nous revendiquons aussi un salaire étudiant, pour mettre fin à notre précarité et obtenir une vraie reconnaissance de notre statut.

2) Pouvez-vous raconter le mouvement de la jeunesse en France? Quels sont les conflits principaux en France pour les peuples et les jeunes?

Les mouvements de jeunesse en France sont partagés entre les organisations de jeunesse de partis politiques, les syndicats étudiants, diverses associations, les mouvements autonomes sans structure officielle… Malgré des désaccords, ces divers groupements se retrouvent souvent dans des causes partagées. La jeunesse a connu plusieurs épisodes de fort dynamisme récemment : la lutte contre la destruction du droit du travail en 2016, la lutte contre la sélection à l’Université (nous défendions le système antérieur qui acceptait à l’Université tout étudiant diplômé de l’enseignement secondaire sans distinction) en 2018 en parallèle du mouvement “insurrectionnel” des Gilets Jaunes auto-organisé contre la hausse du coût de la vie et pour une plus forte intervention citoyenne dans la démocratie, les marches mondiales pour le Climat qui ont été particulièrement suivies par les lycéen-nes et les étudiant-es. Les luttes féministes et antiracistes connaissent aussi un essor considérable depuis une dizaine d’année : le mouvement #MeToo a eu sa déclinaison française et nous a conféré le rapport de forces pour faire progresser la cause des femmes à l’Université, en matière de prévention des violences sexistes et sexuelles par exemple. Les personnes issues de l’immigration sont des cibles systématique de la police : elles sont contrôlées vingt fois plus que les autres – un chiffre choquant mais bien réel -, et sont presque les seules victimes de meurtres policiers. Être immigré-e en situation irrégulière est aussi terriblement difficile : il faut éviter le harcèlement administratif et policier, avec la crainte permanente d’être expulsé-e. En tant que syndicat étudiant, nous nous inscrivons dans un effort global pour le droit au logement, aux études et à la sûreté juridique des exilé-es, qui vivent les situations les plus précaires. Nous faisons face aujourd’hui à de grands obstacles : le président Emmanuel Macron, perçu à l’international comme un libéral modéré, mène en réalité une politique particulièrement brutale en France, qui applique le néolibéralisme à marche forcée en ignorant toutes les oppositions et en n’hésitant pas à recourir à la violence policière contre les mouvements sociaux, et porter un discours militariste qui propose de précariser la société pour mieux financer l’armée et faire tourner le complexe militaro-industriel ; la France est d’ailleurs le second exportateur d’armes au monde et tire beaucoup de profits des morts civiles au Yémen, en Palestine, et ailleurs. Si nous connaissons moins de détentions et de perquisitions arbitraires qu’en Turquie, la violence physique de la police contre les mouvements sociaux est nettement plus élevée que dans d’autres pays d’Europe. Nous sommes également concerné-es par la violence de groupuscules fascistes de plus en plus répandus sur le territoire, qui ont l’habitude d’affronter physiquement les étudiant-e-s pendant leurs grèves, d’attaquer les locaux des syndicats, de mener des agressions de rue… En 2013, un camarade de notre organisation, Clément Méric, a été tué par des membres d’un groupuscule néo-nazi. Nous honorons chaque année sa mémoire, et les progrès de l’extrême-droite en France, dans les institutions et dans la rue, les agressions récurrentes que l’on subit, nous renvoient au besoin de mener la lutte antifasciste à l’Université. En bref, la jeunesse en France est aujourd’hui l’une des premières victimes des politiques néolibérales autoritaires dans une période de tension politique et d’agressivité écrasante du capitalisme, et une partie se bat malgré la répression de l’État et la violence de l’extrême-droite. Dans ce contexte, nous promouvons plus que jamais l’organisation de notre classe pour adopter une posture offensive plutôt que défensive, et conquérir nos grandes revendications : un salaire étudiant pour reconnaître notre statut de travailleur en formation et mettre fin à la pauvreté et au caractère corvéable des étudiant-e-s, la fin du mal-logement par la construction de cités universitaires, la gratuité et la non-sélectivité des études, et enfin la gestion exclusive de l’Université par ses usager-e-s et la communauté éducative.

3) Comment créez-vous des liens de solidarité internationale avec d’autres organisations étudiantes ?

Nous disposons d’une commission internationale, dédiée à la construction de liens avec des organisations étudiantes à l’international. Nous avons des liens fixes avec nos équivalents francophones européens, Sud étudiant-e-s et précaires en Suisse romande, et l’Union Syndicale Étudiante en Belgique. Dans les années 2010, nous avons mené des initiatives pour acheminer des livres aux bibliothèques universitaires du Rojava, nous avons envoyé une délégation de nos membres en Palestine pour constater l’Apartheid et soutenir les étudiant-e-s de Palestine occupée… Plus récemment, nous avons participé au forum Youth Writing History, mais aussi échangé avec un syndicat étudiant Ukrainien dans le contexte de la guerre d’agression Russe et ses effets terribles pour les droits démocratiques et le droit à l’étude des jeunes Ukrainien-nes. Nous sommes aujourd’hui en liaison avec une organisation étudiante de lutte au Japon, avec Özgürlükçü Gençlik, et nous sommes activement en recherche de liens avec d’autres organisations étudiantes dans le monde qui font face à la dynamique mondiale de libéralisation et de fascisation des classes bourgeoises, qui attaquent le droit à l’éducation tant par la marchandisation que par l’obscurantisme idéologique. C’est pourquoi nous allons nous positionner sous peu sur notre soutien au syndicat étudiant Ukrainien Priama Diia ainsi que sur notre possible participation à la coalition d’organisations étudiantes contre les guerres et l’impérialisme Universities At Wars. Nous réalisons que ce phénomène que nous affrontons est global et que notre réponse gagnera à être coordonnée, il reste à trancher nos débats internes quant à notre conception exacte de la mobilisation anti-impérialiste et notre place en tant que syndicat actif dans un pays au cœur du centre impérialiste.

Nous pouvons nous inspirer de ce que produit notre affiliation interprofessionnelle : Solidaires prend part au Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes, qui participe à coordonner l’application de la campagne de Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël, aide matériellement les peuples qui souffrent de la guerre, et soutiennent les syndicalistes qui subissent les pires lois répressives, par exemple en Argentine; le syndicat du métro de Buenos Aires a mené un cycle de conférences en France sur ce sujet, grâce au RSISL. Nous voulons faire essaimer ce type d’initiatives.

4) On peut dire que les problèmes qu’on a subis sont les problèmes communs qui sont parvenus d’un système en crise : le capitalisme et bien son apparence internationale en tant que l’impérialisme. À côté de cela, les puissances dominantes n’hésitent pas à coopérer en vue d’exploiter les peuples et de violer leurs droits et libertés. Dans ce contexte, comment pensez-vous sur la capacité d’être réussie  d’une lutte qui est limitée à l’échelle nationale.

Au vu des éléments exposés précédemment, nous pouvons considérer que les luttes nationales sont utiles et obtiennent un certain nombre de résultats, mais ne suffisent pas à endiguer le phénomène global. Si nous pouvons nationalement repousser ici une réforme délétère, là une victoire politique de l’extrême droite, tant mieux, mais il faut être lucides : aujourd’hui, nos luttes structurées essentiellement à échelle nationale n’offrent pas la perspective d’un renversement de tendance durable. Sans renverser la bourgeoisie à échelle mondiale, nous nous condamnons à répéter en boucle les mêmes efforts pour préserver le peu de conquêtes sociales qui nous restent. Nous considérons qu’approfondir nos liens internationaux nous rend plus efficaces, et permet d’avoir une perspective politique juste : dans un pays au cœur du centre impérialiste comme la France, qui n’a pas matériellement rompu avec son passé colonial, la conquête de nos droits et de notre sûreté matérielle ne doit pas passer par la promotion d’une croissance sans bornes fondée sur l’extractivisme et le néo-colonialisme. Elles doivent être écologiques, décoloniales, antiracistes. L’internationalisme nous enseigne cela.

5) La commercialisation et la privatisation de l’éducation est une crise mondiale que tous les étudiant-e-s autour du monde sont subi-e-s. Est-ce que vous pensez qu’il est possible de former un front de lutte commune contre cet enjeu, avec d’autres organisations étudiantes autour du monde?

Nous devons effectivement creuser la piste d’une alliance internationale contre ce que nous appelons la libéralisation de l’enseignement supérieur et de la recherche : les syndicalistes français-es seul-es peuvent lutter contre l’application locale du processus européen de Bologne, de l’usage de la référence du Classement de Shanghai… On s’y emploie pays par pays, et même Université par Université, le président Macron ayant l’intelligence stratégique d’appliquer ses réformes de façon graduelle en mettant une pression matérielle sur les établissements un par un, pour fusionner, pour augmenter leurs frais d’inscription, pour différentier les frais d’inscription selon le pays d’origine… et pour mieux nous disperser et nous épuiser. Mais les liens internationaux nous permettraient de prendre le mal à la racine. Un front commun est nécessaire, il nous semble que tout reste à faire !

6) Est-ce qu’une résistance étudiante internationale est possible contre les politiques éducatives néolibérales dictées par l’IMF et la Banque Mondiale ?

Pour ce faire, il va falloir que les mouvements étudiants d’Europe occidentale et du centre impérialiste en général comprenne la menace que représentent le FMI et la banque mondiale, qui peut nous sembler abstraite. Dans le centre impérialiste, la bourgeoisie nationale applique toujours de sa propre initiative les réformes néolibérales ! Cela passe par les processus de l’Union Européenne tels que le processus de Bologne autant que par des réformes à l’échelle du pays. Le Brexit nous l’enseigne : même sans la pression des instances internationales intrinsèquement néolibérales comme l’UE, la bourgeoisie nationale britannique a continué la libéralisation de l’enseignement supérieur. En France, le gouvernement agite la menace d’une intervention du FMI pour justifier les coupes budgétaires dans les services publics (mais pas dans la militarisation de la jeunesse, naturellement…). C’est ridicule, dans la mesure où le FMI n’a jamais été conçu pour s’attaquer à un pays comme la France, mais pour forcer des politiques à la française, à l’américaine, à la britannique, à l’allemande… partout ailleurs.

La dureté de ce système réside dans le caractère prétentieux et intéressé de la bourgeoisie impérialiste, qui croit pouvoir appliquer au monde entier la recette qu’elle applique dans son propre espace, la faisant passer pour la seule bonne politique. Parmi leurs leviers se trouvent l’organisation mondiale du commerce, la banque mondiale, et le FMI dont les “restructurations” ont détruit les services publics de tant de pays. Le centre impérialiste et le reste du monde n’auront pas le même rapport de combat face à ces instances internationales. Les pays du centre impérialiste doivent avant tout combattre leurs politiques néolibérales à l’échelle domestique, tant celles-ci sont motrices pour les instances internationales. Nous le constatons par la négative : Quand Donald Trump aux Etats-Unis rompt avec ses engagements vis-à-vis de l’OMC, sa capacité de prescription politique est nullifiée et elle se montre impuissante face à la guerre commerciale entre puissances et aux mesures de réciprocité en matière de droits de douanes. Dans une perspective contraire, sociale et internationaliste, nous pourrons nullifier les politiques néolibérales internationales en dépassant la phase historique néolibérale au sein du centre impérialiste. Cela confère une responsabilité immense aux classes populaires de ces pays. Pour que l’on agisse de façon coordonnée contre le FMI et la Banque Mondiale, nous devons étudier de façon matérialiste ce qui rend possible ces rapports de domination entre les pays. Le néolibéralisme domestique du centre impérialiste rend possible le néolibéralisme imposé au reste du monde par l’intervention du FMI. Il faut à la fois construire la résistance à ces instances dans le monde entier, et détruire le néolibéralisme au cœur du réacteur qu’est le centre impérialiste, pour détruire le pouvoir de ces instances.

7) Les circonstances qui ont donné naissance au communiqué commun d’Özgürlükçü Gençlik et de Solidaires Étudiants-e-s sont, en réalité, celles qui ont vu l’institutionnalisation du fascisme en Turquie s’intensifier avec l’intensification des attaques policières et étatiques après le 19 mars. Nous avons témoigné d’une situation similaire il y a deux ans en France, avec la mise en œuvre de l’article 49.3, accompagnée de violences policières et étatiques, du relèvement de l’âge de la retraite. Par ailleurs, nous pouvons citer de nombreuses pratiques similaires à l’échelle mondiale, notamment la montée de l’extrême droite et l’institutionnalisation du fascisme. Quel est le rôle des organisations étudiantes dans la lutte contre la menace internationale du fascisme et de l’extrême droite ? Comment on pourrait lutter contre le fascisme internationalement ?

Nous avons pu décrire comment nous combattons le fascisme localement, par l’auto-défense, le contre-discours, mais aussi via l’association Vigilance et Initiative Syndicale Antifasciste, une association de syndicalistes à laquelle nous prenons part et qui agit pour dégager l’idéologie d’extrême-droite des espaces populaires. Il est très juste de faire le lien entre l’autoritarisme d’Emmanuel Macron et la montée de l’extrême-droite, car une partie de la politique fasciste est d’ores et déjà appliquée en France : le 49.3 est devenu le mode ordinaire de gouvernement depuis la défaite du camp du Président aux élections législatives, ce qui nous fait penser à l’agonie de la République de Weimar en Allemagne entre 1931 et 1933… La bourgeoisie prétendument modérée qui s’accroche à son pouvoir malgré son impopularité et ses défaites populaires ouvre la voie au fascisme. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui gère la police et les cultes, démultiplie les actes de violence policière arbitraire, dénonce la libération de notre camarade Georges Ibrahim Abdallah qui était prisonnier politique en France pour donner l’exemple contre la résistance Palestinienne pendant 41 ans sous pression des États-Unis, en dépit de la séparation des pouvoirs. Il a d’ailleurs estimé qu’il ne fallait pas sacraliser l’État de droit, montre un dédain total à l’égard des familles de victimes de meurtres islamophobes qui se multiplient dans le pays, et a même lancé pour slogan “à bas le voile” et milite pour l’interdiction du voile islamique à l’Université. La violence de l’Etat néolibéral et l’islamophobie, le racisme et la xénophobie sont les deux piliers du progrès de l’extrême-droite en France. Elle ouvre la voie à des groupuscules étudiants néofascistes qui vont plus loin et se montrent également radicalement homophobes, transphobes et antisémites, un discours qui n’a pas encore sa place dans l’extrême-droite institutionnelle, mais ce n’est qu’une question de temps.

Ce phénomène étant global, une résistance globale s’impose. Nous ne pouvons que déplorer l’éclatement de nos forces : alors qu’une internationale réactionnaire s’organise en Europe et que tous les prétendants au pouvoir à l’extrême-droite trouvent leurs références chez Trump, Orbán, Poutine et évidemment Erdoğan, la riposte populaire se fait en ordre dispersé. Grâce à notre affiliation internationale au RSISL nous avons beaucoup appris sur la façon dont les Argentin-es répliquent face à Javier Milei et le mettent parfois en déroute. Si une internationale étudiante de luttes émerge, l’antifascisme sera, avec l’anti-impérialisme, au cœur des enjeux. La plus belle initiative que nous tenons à saluer aujourd’hui est la campagne internationale pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, qui a trouvé un fort écho dans la jeunesse française depuis le 7 octobre. Sur tous les campus, nous avons pu mener campagne pour sa libération, malgré l’alignement total de notre pays sur la politique fasciste et génocidaire d’Israël. Nous avons lutté de même pour abolir les partenariats entre nos Universités et les entreprises complices du génocide. Cela nous a valu des pressions, des tentatives de réduction au silence, des procédures disciplinaires, des coups,  des accusations infamantes en antisémitisme qui servent aujourd’hui de prétexte à la répression sur les campus, mais nous avons gagné. Sa libération aura lieu le 25 juillet. Cette formidable victoire anti-impérialiste n’a rien d’un hasard : elle a été rendue possible par la solidarité internationale sur l’enjeu de la libération de la Palestine et par la massification inattendue de la lutte en France qui durait depuis des décennies. Notre camarade Abdallah l’a lui-même écrit par le passé : La France ne le libère que si l’on leur crée trop de problèmes tant qu’il est enfermé ! Cet exemple doit nous inspirer sur la résistance internationale à l’arbitraire bourgeois, à l’injustice, à l’extrême-droite. Reproduisons les initiatives victorieuses : campagnes internationales, et organisations internationales pérennes pour les porter massivement.

8) Quelle action faut-il mener contre une approche de l’art et de la culture qui impose les principes du néolibéralisme sous le nom de « mondialisation » ?

Il faut démarchandiser la culture elle-même, et ce n’est pas une tâche facile : en France, la culture subventionnée publiquement est mise en danger de mort par les coupes budgétaires récentes. Nous sommes liés au syndicat professionnel SUD Culture, qui s’emploie principalement à sauver les lieux de production culturelle non-marchands : Bibliothèque Nationale de France, budget culturel des régions, statut protégé des artistes… Le mouvement social développe aussi sa propre production culturelle. Même si ce n’est pas au cœur de ses missions, à chaque lutte, nous sommes frappés par la quantité d’arts produits pour animer les occupations d’Universités, les cortèges de manifestations… La culture autonome a un fort attrait, et l’on ne compte plus les initiatives culturelles opposées à l’autoritarisme de l’État, comme les free parties et de nombreux festivals engagés. Ainsi, pour contrer la culture aseptisée et néolibérale, il faut produire une contre-culture militante. Non seulement cela visibilise nos discours et rend plus joyeux le militantisme, mais en plus, cela fait la démonstration que la culture populaire ne se laisse pas écraser par la culture légitime. Contre la mondialisation culturelle néolibérale, nous adhérons à une culture populaire mondiale. Et une bonne manifestation internationaliste se conclut toujours par une soirée où l’on partage des danses régionales françaises, des danses kurdes ou Palestiniennes.

9) Quelle est la place des organisations étudiantes dans la lutte internationale contre la crise climatique ?

Nous remarquons qu’aujourd’hui, l’écologie a perdu de sa force dans les mouvements syndicalistes étudiants, tant nous sommes retranchés dans la lutte contre l’extrême-droite et la lutte pour l’amélioration immédiate de nos conditions de vie. Mais il n’y aura pas d’amélioration durable sans lutte écologiste. Alors, nous devons nouer des alliances : participer aux marches pour le Climat quand elles se déroulent, et soutenir des initiatives écologistes qui s’organisent de façon plus autonomes ; par exemple, Solidaires s’engage à échelle interprofessionnelle dans l’Alliance Écologique et Sociale qui allie syndicats et associations écologiques, mais aussi dans les Soulèvements de la Terre, qui promeuvent l’action directe contre les grands projets inutiles et destructeurs pour la biodiversité, qu’ils soient autoroutiers, agricoles… Et nous constatons d’ailleurs que le mouvement écologiste fait partie des plus durement réprimés, certainement parce qu’il atteint le totem de la propriété et de la libre accumulation des capitalistes. Si Solidaires Etudiant-e-s n’assume pas seule la lutte écologiste sur les lieux d’études, il n’est pas rare de nous trouver dans les manifestations des Soulèvements de la Terre.

10) On peut affirmer qu’avec des exemples actuels comme la révolution des femmes au Rojava ou la lutte des femmes en Iran et d’autres exemples actuels qu’on peut référer à la lutte féministe, le mouvement féministe a acquis une dimension internationale dans le cadre de la lutte anticapitaliste. Quelles actions les organisations étudiantes peuvent-elles prendre pour étendre plus la lutte féministe internationale contre la patriarchie ?

Premièrement, elles doivent se doter d’un logiciel idéologique adéquat : le mouvement féministe bourgeois en France s’est fourvoyé dans le paternalisme et le racisme, dénonçant le voile des musulmanes comme un outil de soumission patriarcale sans se rendre compte qu’il faisait le lit d’une islamophobie aux effets terribles sur les femmes musulmanes en France. Le féminisme français s’adressant au monde ne peut pas consister en la promotion de la femme athéiste émancipée dans le sens libéral du terme, qui peut exploiter les femmes du monde entier tout en leur faisant la leçon sur le modèle à adopter. Le féminisme internationaliste se veut décolonial et inscrit dans un rapport d’égalité entre tous les peuples, c’est ce que nous nous efforçons de faire par notre ligne matérialiste et d’inspiration intersectionnelle.

Le colonialisme français a installé le patriarcat comme modèle d’exploitation des femmes par les hommes dans ses colonies. La bourgeoisie française a fait partie des acteurs de la mondialisation du patriarcat. Notre féminisme, tourné du côté intérieur dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ainsi que tous types d’inégalités et de rapport de domination, y compris la transphobie, doit conserver la même orientation à l’égard du monde : ne jamais tolérer les violences sexistes et sexuelles parfois utilisées comme arme de guerre, lutter pour l’autodétermination des personnes transgenres dans tous les pays, pour la liberté de conscience, de religion et d’exercice des cultes, et contre l’exploitation économique. Une adhésion mondiale du mouvement étudiant à ce féminisme matérialiste permet d’envisager collectivement un féminisme cohérent à échelle mondial et émancipateur pour toutes, pas que pour les femmes des pays libéraux et favorisés.

Pour en revenir au capitalisme, ce dernier profite bien du travail domestique des femmes et en même temps de leur travail salarié. Dans les pays impérialistes, les ménages favorisés et les entreprises profitent de la force de travail des femmes étrangères pour s’occuper de leurs enfants, faire le ménage et pallier aux insuffisances du système de santé, sans aucune reconnaissance. C’est par la lutte syndicale que les femmes de ménage à l’Hôtel Ibis Batignolles, près de Paris, ont fait substantiellement augmenter leurs salaires et améliorer leurs conditions de travail. Cette lutte fut menée sans distinction de nationalité ou de religion : contre le patriarcat et contre le capitalisme, l’union fait la force.

11) Quels types de mécanismes peuvent être développés pour contrer la discrimination et les discours de haine auxquels les étudiant-e-s LGBTI+ sont exposés sur le campus ?

Notre lutte contre les discriminations envers les LGBTI+ se déclinent par méthodes et par revendications. Les revendications sont celles du refus par les administrations des discours de haine portés en général par les groupuscules d’extrême-droite, plus que par les étudiant-e-s “ordinaires”. Nous constatons que la discrimination systémique qui fait le plus de dégâts à l’Université est la transphobie : nous demandons le respect des prénoms d’usage par les administrations y compris tant que le prénom n’est pas changé légalement à l’Etat-civil, que cela ne fasse pas obstacle à l’obtention d’une bourse, d’un logement ou toute autre démarche administrative, et qu’aucune discrimination n’ait lieu dans le cadre de la santé universitaire ni dans le cadre pédagogique. Sur ce dernier volet, nous devons développer notre socle revendicatif en faveur d’enseignements qui prennent en compte les identités LGBTI+, par exemple que les soins des personnes transgenre soient enfin représentées dans les études de médecine et de pharmacie. Les étudiant-e-s progressistes de ces filières sont les premier-e-s à le demander. Par ailleurs, une psychanalyse réactionnaire est toujours enseignée dans les filières de psychologie en France, contrairement aux autres pays, et cette dernière peut comporter des discours pathologisant les identités LGBTI+, il faut s’en débarrasser.

Les méthodes sont celles de la lutte, des pétitions, des négociations, des assemblées générales étudiantes ouvertes au plus grand nombre pour organiser les revendications au delà de notre cercle d’adhérent-es. Nous menons des discussions, des diffusions de films, et nous nous mettons à l’écoute des étudiant-e-s qui font face à des discriminations ou des difficultés dans la vie quotidienne. Nous avons une ligne d’écoute dédiée pour les personnes transgenres, afin de favoriser la confidentialité quand c’est nécessaire pour permettre l’entraide. Pour nos adhérent-es, nous avons des canaux de communication non-mixte pour les militant-e-s transgenres afin que leurs intérêts ne soient jamais perdus de vue dans la fédération. Nous sommes souvent une force motrice sur ce thème et avons fait adopter dans plusieurs Universités le droit à un changement de prénom reconnu par l’Université sur simple demande, et continuons à soutenir plus généralement les revendications LGBTI+ par les permanences d’entraide étudiante, par notre présence aux Prides (y compris à leur organisation), par nos réseaux auprès d’associations de luttes des personnes LGBTI+ qui permet de mettre en contact les concerné-es et de promouvoir la santé sexuelle et l’entraide communautaire, dans une perspective de transformation sociale.

12) Comment vous approchez-vous de l’idée de créer une ligne de lutte qui surpasse les frontières nationales, par exemple une organisation intitulée Union Internationale des Étudiant-e-s?

Cette idée nous rend très enthousiastes au regard des principes internationalistes que nous portons. Nous n’ignorons pas que le travail pour faire advenir une Internationale de ce type reste à mener, mais nous voyons des signaux favorables à son émergence, avec les succès de la dimension internationale de la lutte contre le génocide du peuple palestinien, le réseau Universites At War, le réseau d’initiative Kurde Youth Writing History, bien qu’il ne soit pas spécifiquement étudiant… Partant de nos relations avec Özgürlükçü Gençlik, nous pouvons certainement développer un réseau global d’initiatives et de luttes étudiantes contre le néolibéralisme, l’impérialisme et les réactionnaires, pour un enseignement supérieur accessible à tous-tes mondialement, contre tous les rapports de dominations entre groupes sociaux et les tentatives d’étouffer les libertés publiques, parmi lesquelles celles de participer aux mouvements sociaux, la liberté de conscience, la liberté d’expression, les libertés académiques, et tant d’autres. Nous contactons actuellement un ensemble d’organisations qui partagent cette ligne dans divers pays. Quant à la construction d’une organisation internationale, cela demandera à la fois un long travail de construction et un processus de validation démocratique, mais y parvenir nous rendrait très fier-e-s et serait un excellent signal pour les peuples en lutte !

13) En tant que les étudiant-e-s et les jeunes des différents pays, comment on peut s’organiser dans une ligne de lutte commune?

La ligne à laquelle nous nous référons a la vertu d’être pensée globalement et de ne pas opposer les intérêts d’étudiant-e-s selon leur origine, leur confession, leur genre… Pour s’organiser en commun, il faut avoir une ligne tenant compte des rapports de force liés à l’impérialisme, et bien comprendre que des pays en situation de domination ne doivent pas se conforter dans celle-ci mais la combattre activement, au service de tous les peuples. Nous avons le sentiment que cette ligne trouve ses échos, de diverses façons, sur tous les continents.

14) Quelles sont les obstacles contre les initiations comme cela?

Si la ligne ne fait pas obstacle à s’organiser en commun, des particularités politiques ou techniques propres à chaque pays et organisation peuvent se montrer difficiles à surmonter.

Par exemple, en France, la lutte transite beaucoup par le syndicalisme révolutionnaire. Il a pour principe d’être séparé des partis politiques, ce qui est loin d’être le cas partout : dans beaucoup de pays, ce sont les partis politiques qui mènent la lutte. Et les syndicats sont parfois discrédités, comme en Allemagne, car la loi les place en simples gestionnaire du capitalisme et non en organisations de luttes. Rien qu’à l’échelle d’un pays, faire fonctionner de concert toutes les organisations de luttes est difficile, même lorsqu’on assume une ligne unitaire. L’organisation interne peut aussi varier : Solidaires étudiant-e-s fonctionne de façon fédérale et autogestionnaire, refuse les hiérarchies et laisse une forte autonomie à ses syndicats membres. D’autres tendances existent, et poursuivent parfois les mêmes objectifs politiques.

Pour faire exister une internationale étudiante de luttes, il faudra accepter la diversité de nos formes d’engagements au gré des contextes et histoires locales tout en poursuivant les mêmes objectifs. C’est le plus gros obstacle, devant même la quantité de travail militant nécessaire pour animer démocratiquement une organisation qui se déploie sur plusieurs continents.

Yazar